Plaidoyer pour l’Altruisme, Matthieu Ricard

« Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu.  »

Victor Hugo.

Cet article propose une fiche de lecture de « Plaidoyer pour l’altruisme » de Matthieu Ricard.

Présentation générale

L’objectif de « Plaidoyer pour l’altruisme » est de démontrer que l’altruisme véritable existe et qu’il est la solution pour réconcilier temps court (réalités économiques), moyen (épanouissement personnel) et long (vie des générations futures). Pour cela, après avoir définit l’altruisme, Matthieu Ricard va démontrer son existence et le pouvoir qu’il peut avoir sur nos vies et le monde. Il donne enfin des exemples concrets pour le cultiver dans notre quotidien.

Avec 1.000 pages dont 130 pages de références et 43 chapitres, cet ouvrage est une réelle encyclopédie sur l’altruisme. Pour présenter son propos, Matthieu Ricard s’appuie sur la sagesse du bouddhisme et la rigueur des sciences telles que neurologie, biologie, psychologie, philosophie, anthropologie, ainsi que sur des récits de vie. Ce livre, à l’image de Matthieu Ricard est donc un savant mélange de spiritualité et de rigueur scientifique. 

La portée de ce livre est d’autant plus puissance que Matthieu Ricard vit et incarne cet altruisme au quotidien. Tous les droits d’auteurs issus de ce livre sont d’ailleurs reversés à l’association Karuna Shechen qu’il a fondée, et qui œuvre pour des projets humanitaires au Tibet, au Népal en en Inde

 

Auteur

Matthieu Ricard, né en France en 1946 et fils du philosophe français Jean-François Revel et de l’artiste peintre Yahne Le Toumelin. Il est moine bouddhiste, auteur de livres, traducteur et photographe. Après un premier voyage en Inde en 1967 où il rencontre de grands maîtres spirituels tibétains, il termine son doctorat en génétique cellulaire en 1972, et part s’installer dans la région de l’Himalaya où il vit maintenant depuis plus de 40 ans.

Matthieu Ricard a consacré sa vie à l’étude et à la pratique du bouddhisme auprès des plus grands maîtres spirituels tibétains de notre époque, et est l’interprète français du Dalai Lama depuis 1989. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Le Moine et le Philosophe », « Plaidoyer pour le bonheur » ou encore « L’art de la méditation ». 

Matthieu Ricard est également un membre actif de l’Institut Mind and Life, une association qui cherche à approfondir la compréhension scientifique du fonctionnement de l’esprit, dans le but de réduire la souffrance intérieure. 

Il contribue à l’étude des bienfaits, que l’entraînement de l’esprit et la méditation sur la compassion peuvent avoir sur le cerveau.  Il est également le cosignataire de plusieurs publications scientifiques.

I. Qu’est-ce que l’altruisme ? 

Dans cette partie, plusieurs notions essentielles sont présentées et seront développées tout au long de la lecture. Il s’agit de l’altruisme, la compassion et l’empathie.

L’altruisme est l’intention de faire le bien d’autrui. La notion d’intention est capitale dans cette définition, car je peux faire le bien d’autrui, lui être bénéfique mais sans cette volonté. Par exemple, si je m’occupe d’une personne âgée, avec pour intention d’obtenir une part forte de l’héritage, je ne suis pas altruiste même si mon action a été bénéfique pour la personne âgée.

La compassion, telle qu’elle est définie par les psychologues et les bouddhistes, est la volonté qu’autrui soit libéré de ses souffrances. Ainsi, on peut dire que c’est l’altruisme appliqué à la souffrance.

L’empathie est la résonnance avec les émotions d’autrui. Cette résonnance peut être affective (je ressens les émotions de la personnes) ou cognitive (j’imagine sa souffrance sans la ressentir). Par exemple, dans un avion je peux percevoir qu’une personne ne se sent pas bien et a peur, sans pour autant ressentir cette peur. Cette empathie « cognitive » me permettra d’agir, même si je ne ressens pas les émotions de la personne.

Si l’empathie affective permet de comprendre plus facilement l’état émotionnelle d’une personne, elle épuise et peut mener au burnout. Ainsi, pour les personnes empathiques, il conviendra de cultiver l’amour bienveillant et la compassion (cf. partir IV) qui permet de faire face à la souffrance d’autrui sans s’épuiser (et donc permettre d’agir et d’aider).

L’empathie permet de comprendre, la compassion permet de guérir.

II. L’altruisme véritable existe-t-il ?

Dans cette partie, l’auteur défait la croyance véhiculée par certains philosophes (Thomas Hobbes notamment), que l’homme est par nature égoïste et agressif.

On entend souvent en effet que l’altruisme est en réalité un égoïsme « déguisé ». Les raisons égoïstes cachées derrière une apparence altruiste seraient en réalité des trois natures : 

  • la reconnaissance sociale (ou l’évitement de la réprobation d’autrui)
  • l’attente calculée d’une contrepartie ou récompense
  • l’évitement d’une sanction ou un sentiment de culpabilité ou encore un soulagement de sa propre souffrance.

Pour prouver que l’altruisme véritable existe, l’auteur présente plusieurs expérimentations en laboratoire menées notamment par Daniel Batson (éminent psychologue américain). Les expériences consistent a étudié le comportement de deux groupes d’individus, dont un est exposé à la raison « égoïste ». Par exemple pour la raison « éviter la réprobation d’autrui », on propose aux participants de passer du temps avec Janet que l’on présente comme une femme qui traverse une période difficile de sa vie, qui souffre de solitude et recherche des amitiés. Au premier groupe on dit que l’expérimentateur et Janet seront informés de leur choix ou non de passer un moment avec elle. A l’autre on garantit la confidentialité de la décision. On suscite ensuite un sentiment d’empathie chez la moitié des participants de chaque groupe en leur demandant d’imaginer le sort de Janet. Les résultats montrent que les ¾ des participants à empathie élevée acceptent de rencontrer Janet que leur choix soit confidentiel ou non. En revanche, une plus grande proportion des sujets à faible empathie décline l’offre de rencontrer Janet dans le cas où il bénéficie de l’anonymat. Cela montre que l’altruisme véritable n’est pas influencé par l’anticipation des jugements d’autrui et n’est pas motivé par la reconnaissance sociale.

Dans ce chapitre, l’auteur nous présente également les (nombreux) actes héroïques, où des personnes en sauvent d’autres au péril de leurs vies; ces actions étant pour elle « qu’il fallait faire » et qu’il n’y avait pas réfléchi ». Ces personnes n’attendent pas de récompenses et peuvent être d’ailleurs gênées si on leur en propose une.

Sans entrer forcément dans l’héroïsme, l’auteur rappelle aussi la banalité du bien, si fréquent, qu’il est parfois oublié (faire un détour de 500 m avec un étranger après une grande journée de travail pour lui montrer le chemin de son hôtel, tenir la porte à quelqu’un…). Pourtant, il est là au quotidien, silencieux, anonyme.

 

III. L’émergence de l’altruisme

Dans cette partie, Matthieu Ricard souligne que c’est la coopération qui a permis aux espèces de survivre. L’espèce humaine doit son essor non pas à l’application du principe darwinien mal compris selon lequel la survie revient au plus fort (La lutte des espèces), mais au contraire à un mode de vie essentiellement basé sur la coopération. La coopération serait ainsi non seulement une qualité fondamentale des groupements humains, mais aussi une condition essentielle à leur survie et à leur développement.

Par essence, quand des individus sont tous en compétition les uns avec les autres, ceux qui coopèrent le moins et profitent au maximum de la bienveillance des autres réussissent le mieux, mais quand ce sont des groupes qui entrent en compétition, ceux qui ont établi la coopération la plus forte sont les gagnants. Ainsi, au cours de l’évolution, l’aptitude des groupes à coopérer a été un atout déterminant : les groupes fortement coopérateurs ont davantage survécu que les autres.

L’une des grandes questions qui fait débat est de savoir si nous sommes nés bons et disposés à coopérer les uns avec les autres avant que la société ne nous corrompe (comme l’avance Jean-Jacques Rousseau) ou, si nous sommes nés égoïstes, peu disposés à nous aider mutuellement et que la seule société nous apprend à nous comporter de manière plus civile (comme l’affirme Thomas Hobbes).

Les recherches menées penchent en faveur de la première hypothèse. Elles ont établi qu’à partir de l’âge d’un an, les enfants manifestent déjà spontanément des comportements d’entraide et de de coopération qui ne leur ont pas été appris par des adultes. Plus tard, à partir de l’âge de cinq ans, la tendance à la coopération et à l’entraide est influencée par l’apprentissage des rapports sociaux et par des considérations de réciprocité, ignorées par par les enfants plus jeunes qui, eux, aident sans faire de discrimination. 

Matthieu Ricard souligne par ailleurs que le degré d’amour et de tendresse que reçoit l’enfant dans la petite enfance influence profondément le reste de son existence. Selon l’auteur, il semble donc que ce serait un devoir, pour les adultes, de développer et d’exprimer ce qu’ils ont de meilleur en eux afin de manifester le maximum d’affection, de bienveillance et d’amour envers leurs enfants et ceux dont ils ont la charge dans la communauté ou dans le système éducatif.

 

IV. Cultiver l’altruisme

Dans cette partie, Matthieu Ricard expose comment faire grandir l’altruisme en chacun de nous, par un entraînement de l’esprit régulier à l’amour altruiste et la compassion.

Tout d’abord il rappelle que chacun d’entre nous peut changer, et cela se démontre scientifiquement par la neuroplasticité (le fait que cerveau évolue quand il est face à de nouvelles situations) et l’épigénétique (processus où l’environnement modifie l’expression des gènes). Depuis 20 ans, les collaborations entre des neuroscientifiques, psychologues avec des méditants expérimentés ou débutants ont montré que lorsqu’on s’entraîne à l’amour altruisme par la méditation, au fur et à mesure des semaines, nous changeons. Notre cerveau change fonctionnellement, c’est à dire que les zones liées aux émotions de bienveillance et d’amour sont plus utilisées mais aussi fonctionnellement : ces zones augmentent en volume, des neurones se développent.

Si les recherches ont montré que la méditation produit d’important changements dans le cerveau des pratiquants expérimentés, quelques semaines de méditation, à raison de 30 min par jour, induisent déjà des changements significatifs dans l’activité cérébrale, le système immunitaire, la qualité de l’attention et bien d’autres paramètres (gestion des émotions, renforcement du lien social…).

La pratique régulière de la méditation est donc une méthode pour intégrer véritablement l’altruisme et la compassion, pour qu’elles habitent durablement notre paysage mental.

Pour méditer, il est nécessaire de commencer dans un lieu tranquille pour ne pas être interrompue. Ensuite, il s’agit de trouver une posture confortable et équilibrée qui permet à l’esprit d’être à la fois détendue et alerte : la colonne vertébrale doit être bien droite, assis en tailleur ou sur une chaise. Il faut ensuite vérifier sa motivation à méditer ; puis stabiliser son esprit par la respiration.

Pour méditer sur l’amour altruiste, nous commençons par prendre conscience au plus profond de nous-même que nous redoutons la souffrance et aspirons au bonheur. Une fois reconnue cette aspiration, nous devons admettre qu’elle est partagée par tous les êtres : nous reconnaissons notre humanité commune. Enfin, prenons conscience de notre interdépendance (la chemise que nous portons, le verre dans lequel nous buvons… tout cela n’est possible que grâce à l’activité d’innombrables autres). Ensuite, il est plus facile de s’entraîner en pensant à quelqu’un qui nous est cher (un parent, conjoint, enfant). Nous pensons à cette personne, la visualisons heureuse et nous laissons imprégner entièrement par cet amour sans autre forme de pensée. Ensuite, nous élargissons cette pensée d’amour à des cercles de plus en plus larges : nos proches, voisins, … puis l’humanité toute entière.

D’autres méditations permettent de développer l’altruisme : celle sur la compassion, la gratitude et l’impartialité. Ces 4 méditations pouvant être combinées.

V. Les forces contraires

Dans cette partie (assez noire et déprimante dans ce livre pourtant plein d’espoir), Matthieu Ricard explique comment les « forces contraires » (l’égocentrisme, la violence, la méchanceté, la vengeance…) réussissent à s’emparer des hommes.

Il indique que le repli sur soi qui accompagne l’égocentrisme conduit naturellement au déclin de l’empathie et de l’altruisme. L’influence de l’égocentrisme peut culminer dans le recours à la violence pour satisfaire ses désirs ou nuire sciemment aux autres.

Il explique ainsi qu’à la racine de toute forme de violence se trouve un manque d’altruisme et une dévalorisation de l’autre. N’accordant pas suffisamment de valeur au sort de celui-ci, nous lui nuisons sciemment, physiquement ou moralement.

Il explique par ailleurs que le sentiment de vengeance est étroitement lié à l’égocentrisme, notamment lorsqu’on a non seulement subi un tort, mais qu’on a aussi été humilié, surtout publiquement.

Il expose par ailleurs le résultat de plusieurs études, qui ont dévoilé jusqu’à quel point nous pouvons nous plier aux ordres d’un individu en position d’autorité, même si c’est en parfaite contradiction avec notre propre système de valeurs. Dans une série d’expériences menées au début des années 1960 par Stanley Milgram, ce dernier a fait croire à des volontaires qu’ils participaient à une expérience sur la mémoire et que les scientifiques voulaient évaluer les effets de la punition sur le processus d’apprentissage. Dans le cas où l’élève (un complice de l’expérimentateur) donnait une mauvaise réponse, le participant devait lui administrer une décharge électrique dont l’intensité augmentait à chaque erreur commise. Le scientifique qui dirigeait l’expérience présentait une apparence d’autorité. Il ne donnait que quelques instructions mais sur un ton ferme et lapidaire. Au résultat de l’expérience, 65 % des participants ont fini par administrer la dose maximale qu’ils savaient être potentiellement mortelle ! Selon Milgram et ceux qui ont analysé ces expériences, l’individu qui entre dans un système d’autorité ne se considère plus comme un acteur responsable d’actes contraires à la morale, mais plutôt comme un agent exécutant les volontés d’autrui. Il reporte sa responsabilité sur le détenteur de l’autorité.

Un autre point intéressant de ce chapitre concerne la répugnance naturelle des êtres humains à tuer. Matthieu Ricard explique que des études sur le comportement des soldats pendant la seconde guerre mondiale ont révélé que seulement 10 à 15 % des soldats en situation de combat avaient utilisé leurs armes pour tirer sur l’ennemi. Ces faits concernent les guerres « traditionnelles » au cours desquelles les soldats de métier se battent au sein d’une armée. Les choses sont différentes dans les cas de massacres et des génocides lors desquels les individus, par divers mécanismes, dont la deshumanisation de l’autre et la désensibilisation, annihilent leur répugnance à tuer.

Matthieu Ricard évoque enfin dans ce chapitre l’impact de l’homme sur les animaux et sur l’environnement (maltraitance dans les abattoirs, pollution et ravages de nombreux industriels sur la nature).

VI. Construire une société plus altruiste

Dans cette partie, Matthieu Ricard redit l’importance de l’altruisme pour réconcilier temps court, moyen et long, notamment en ce qui concerne l’écologie. En effet, il définit l’écologie comme de l’altruisme envers les générations futures.

Les derniers chapitres du livre sont consacrés aux initiatives qui vont dans le sens de l’altruisme :  en particulier, l’agriculture biologique et locale ainsi que la définition de nouveaux indicateurs pour mesurer non plus seulement la force économique mais également le bonheur des personnes. 

Sur ce dernier point, Matthieu Ricard relève que le PNB (produit national brut) ou le PIB (produit intérieur brut) ne permettent en effet plus de répondre aux besoins actuels et ne traduisent pas la réalité d’un pays. Il souligne que ces indicateurs quantifient la valeur totale de la production, au cours d’une année, de la richesse créée par les agents économiques résidant à l’intérieur d’un pays. Or la prospérité véritable possède en effet de nombreux paramètres que le PIB ou le PNB ne prennent pas en compte. En particulier, la mesure du PIB ne fait aucune distinction entre l’augmentation du volume des biens et des services quand elle s’accompagne d’un plus grand bien être et la même augmentation lorsqu’elle se fait au détriment de ce bien-être. 

 Le bonheur national brut (BNB) est un indicateur mis en place au Boutan. S’il n’était pas pris au sérieux il y a encore quelques années, il est aujourd’hui regardé de près par les économistes, sociologues et hommes politiques. 

A la différence des indices cités précédemment, le BNB s’intéresse de près au bonheur subjectif et a affiné les moyens de l’évaluer, mais il intègre aussi des indicateurs de richesse sociale (bénévolat, coopération, etc.) et de richesse naturelle (valeur du patrimoine naturel intact) en complément de la prospérité économique qui cesse d’être l’unique priorité.

Matthieu Ricard conclut son livre en soutenant que pour que les choses changent vraiment, il faut oser l’altruisme. « Le vrai bonheur est indissociable de l’altruisme, car il participe d’une bonté essentielle qui s’accompagne du souhait profond que chacun puisse s’épanouir dans l’existence. C’est un amour toujours disponible et qui procède de la simplicité, de la sérénité et de la force immuables d’un cœur bon ». 

Alice Maggiocchi Alima

 Je suis Alice Maggiocchi, coach professionnel et fondatrice d’Alima coaching.
J’accompagne les personnes individuellement et collectivement pour qu’elles (re)donnent de l’élan à leur vie professionnelle. L’objectif est qu’elles se sentent à leur place dans leur projet, nourries et motivées par leur activité.
Alima Coaching, intervient dans le milieu professionnel et académique, avec la possibilité de coaching de particuliers.

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